Jean Cocteau immense artiste, parle de son métier « d’artiste-poète » :
On fouille la nuit. Il y en chaque homme une nuit qu’il connaît très mal. Pour moi, un poète, c’est un homme qui est au service de forces qu’il connaît très mal. Nous sommes la main-d’œuvre d’un « moi » que nous connaissons très mal, qui n’a rien à voir avec notre « moi » de surface, et surtout rien à voir avec le « moi » de légende qu’on nous invente.
La vie d’un poète n’est pas drôle. Les Muses sont des dames terribles, des mantes religieuses qui vous mangent pendant l’accouplement, pendant l’amour.
Beaucoup d’écrivains s’imaginent, quand je parle humblement de cet état modeste du poète qui n’est que la main-d’œuvre de forces profondes qu’il ne connaît pas, que je parle de l’inspiration, alors que c’est une expiration : ils s’imaginent qu’on reçoit quelque chose d’un ciel, alors que cela vient de nos ténèbres profondes, de la nuit du corps humain. Ce n’est pas une inspiration mais une expiration, quelque chose qui sort de nous.
Photo : Jean Cocteau dans son appartement par Willy Maywald
Le 3 mars 1955, Jean Cocteau avait été élu à l’Académie française au fauteuil de Jérôme Tharaud, par 17 voix contre 11 à Jérôme Carcopino.
Une élection étonnante pour celui qui revendiquait depuis toujours son indépendance d’esprit. Reçu à l’Académie, le 20 octobre 1955, dans un discours, il dressait son propre portrait avec humour : « Qui donc avez-vous laissé s’asseoir à votre table ? Un homme sans cadre, sans papiers, sans halte. C’est-à-dire qu’à un apatride vous procurez des papiers d’identité, à un vagabond une halte, à un fantôme un contour, à un inculte le paravent du dictionnaire, un fauteuil à une fatigue, à une main que tout désarme, une épée. »
(Texte de Jean Cocteau recopié dans Le Passé Défini, dessin de Picasso). Copyright Boutique Jean Cocteau.
« Je suis anticonformiste au point d’être contre le conformisme anti-académique »
« Le lendemain du tournage, on reste sous l’impression du spectacle, on ne remarque rien d’autre que les fautes, on s’hypnotise sur des détails absurdes. L’admirable du cinéma, c’est ce tour de cartes perpétuel qu’on exécute devant le public et dont il ne doit pas connaître le mécanisme. La nature nous a donné des nerfs pour souffrir et prévenir, une intelligence pour savoir souffrir et nous mettre en garde. La lutte contre la souffrance m’intéresse au même titre que le travail du film. (Jean Cocteau Chronique de neuf mois de tournage (1945-1946), d’une amitié avec Jean Marais, La Belle et la Bête est surtout la confession d’une intériorité, le témoignage émouvant du combat que mènent le poète et son œuvre contre l’ange de la maladie. »
« Il faut bien comprendre que l’art, je le répète, n’existe pas en tant qu’art, en tant que détaché, libre, débarrassé du créateur, mais qu’il n’existe que s’il prolonge un cri, un rire ou une plainte. »Jean Cocteau
« Jean Cocteau »
Alors que certains poètes courent après les muses et, du fait même de leur acharnement ne les rattrapent jamais, ce sont elles qui poursuivent Jean Cocteau. Chaque fois qu’elles le saisissent il se sauve et cette fuite nous vaut un nouvel ouvrage.
Sans doute y a-t-il plus de fontaines de Jouvence que nous ne supposons, mais les sourciers sont rares. Il suffit à Jean Cocteau de prendre son porte-plume comme une baguette magique pour qu’il jaillisse une eau fraîche dans laquelle se trempent les objets, les sentiments les plus vieux. Ils sortent de ce bain métamorphosés, redevenus tout jeunes.
Nombre de poètes actuels croient faire preuve de nouveauté en chantant crûment (c’est-à-dire sans art) la vie moderne; seul Jean Cocteau possède le secret de douer les choses récentes d’un caractère antique, mythologique. Ainsi leur donne-t-il la fraîcheur.
A propos du Cap de Bonne-Espérance, dont M. Roger Gaillard doit vous lire un passage et pour lequel Cocteau s’invente une forme spéciale, il serait vain de citer Chénier: « Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques », reflet infidèle de la pensée de Ronsard que Cocteau, sans même s’en douter, ne perd jamais de vue.
En effet l’ancêtre du Cap de Bonne-Espérance n’est-il pas La Franciade de Pierre de Ronsard dont le rythme appartenait à lui seul ?
La pièce que vous lira M. René Rocher est extraite du prochain livre de Jean Cocteau: Vocabulaire. Dans ce livre, le loup de couleur joyeuse cachant à moitié, orgueilleusement, une tristesse incurable, n’est-il pas celui qui masquait toujours l’amant de Marie et d’Hélène ?
« La Mort ou l’Endroit et l’Envers » est une pièce à propos de laquelle il faudrait évoquer Malherbe et Baudelaire. A ceux qui confondent la sensiblerie et la sensibilité, sans doute ces strophes sembleront froides. Mais il est juste que bien des fidèles du sensible Malherbe ne savent reconnaître en lui qu’un merveilleux versificateur.
Ajoutons enfin que mêlé à toutes les écoles vivantes de notre époque, Jean Cocteau a toujours voulu rester libre. C’est ce qui vaut la place hors ligne qu’il occupe dans la poésie moderne.
Raymond Radiguet
Photo : Raymond Radiguet par Man Ray.
« Coco Chérie, je viens de voir Dalí et nous avons parlé de toi tendrement. Je te souhaite toutes les chances, ce qui est ridicule car tu es la chance. Je t’embrasse et t’aime de tout mon cœur. » Jean Cocteau
J’ai une grande nouvelle triste à t’annoncer : je suis mort. Je peux te parler ce matin, parce que tu somnoles, que tu es malade, que tu as la fièvre. Chez nous, la vitesse est beaucoup plus importante que chez vous. Je ne parle pas de la vitesse qui se déplace d’un point à un autre, mais de la vitesse qui ne bouge pas, de la vitesse elle- même. Une hélice est encore visible, elle miroite ; si on y met la main, elle coupe. Nous, on ne nous voit pas, on peut nous traverser sans se faire de mal. Notre vitesse est si forte qu’elle nous situe à un point de silence et de monotonie. Je te rencontre parce que je n’ai pas toute ma vitesse et que la fièvre donne une vitesse immobile rare chez les vivants. Je te parle, je te touche. C’est bon le relief ! Je garde encore un souvenir de mon relief. J’étais une eau qui avait la forme d’une bouteille et qui jugeait tout d’après cette forme. Chacun de nous est une bouteille qui imprime une forme différente à la même eau. Maintenant, retourné au lac, je collabore à sa transparence. Je suis Nous. Vous êtes Je. Les vivants et les morts sont près et loin les uns des autres comme le côté pile et le côté face d’un sou, les quatre images d’un jeu de cubes. Un même ruban de clichés déroule nos actes. Mais vous, un mur coupe le rayon et vous délivre. On vous voit bouger dans vos paysages. Notre rayon à nous traverse les murs. Rien ne l’arrête. Nous vivons épanouis dans le vide. Jean Cocteau.
« Un jour que j’allais voir Picasso, rue La Boétie, je crus, dans l’ascenseur, que je grandissais côte à côte avec je ne sais quoi de terrible et qui serait éternel. Une voix me criait: « Mon nom se trouve sur la plaque ! » Une secousse me réveilla et je lus sur la plaque de cuivre des manettes: ASCENSEUR HEURTEBISE. Je me rappelle que chez Picasso nous parlâmes de miracles ; Picasso dit que tout était miracle et que c’était un miracle de ne pas fondre dans son bain comme un morceau de sucre. Peu après, l’ange Heurtebise me hanta et je commençai le poème. À ma prochaine visite, je regardai la plaque. Elle portait le nom OTIS-PIFRE ; l’ascenseur avait changé de marque. »
Dans la pièce de 1926, cet ange ne présente plus le même visage. Après avoir été celui qui heurte et qui brise, il devient « bise », un bon ange gardien qui va et vient entre invisible et visible, où il prend l’apparence d’un vitrier. Il veille, non sans maladresse et une certaine part d’impuissance, sur Eurydice et sur Orphée.
Cocteau, lors de la première reprise d’Orphée par la compagnie Pitoëff du 4 au 17 juin 1927, joue lui-même le rôle d’Heurtebise.
Heurtebise, c’est la nuit du poète, tout ce qui lui échappe, son inconscience aussi bien que le surnaturel qui l’entoure.
Photo : Cocteau en Heurtebise vitrier dans la pièce Orphée de 1926.
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