« Jean Cocteau »

Alors que certains poètes courent après les muses et, du fait même de leur acharnement ne les rattrapent jamais, ce sont elles qui poursuivent Jean Cocteau. Chaque fois qu’elles le saisissent il se sauve et cette fuite nous vaut un nouvel ouvrage.

Sans doute y a-t-il plus de fontaines de Jouvence que nous ne supposons, mais les sourciers sont rares. Il suffit à Jean Cocteau de prendre son porte-plume comme une baguette magique pour qu’il jaillisse une eau fraîche dans laquelle se trempent les objets, les sentiments les plus vieux. Ils sortent de ce bain métamorphosés, redevenus tout jeunes.
Nombre de poètes actuels croient faire preuve de nouveauté en chantant crûment (c’est-à-dire sans art) la vie moderne; seul Jean Cocteau possède le secret de douer les choses récentes d’un caractère antique, mythologique. Ainsi leur donne-t-il la fraîcheur.

A propos du Cap de Bonne-Espérance, dont M. Roger Gaillard doit vous lire un passage et pour lequel Cocteau s’invente une forme spéciale, il serait vain de citer Chénier: « Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques », reflet infidèle de la pensée de Ronsard que Cocteau, sans même s’en douter, ne perd jamais de vue.

En effet l’ancêtre du Cap de Bonne-Espérance n’est-il pas La Franciade de Pierre de Ronsard dont le rythme appartenait à lui seul ?
La pièce que vous lira M. René Rocher est extraite du prochain livre de Jean Cocteau: Vocabulaire. Dans ce livre, le loup de couleur joyeuse cachant à moitié, orgueilleusement, une tristesse incurable, n’est-il pas celui qui masquait toujours l’amant de Marie et d’Hélène ?

« La Mort ou l’Endroit et l’Envers » est une pièce à propos de laquelle il faudrait évoquer Malherbe et Baudelaire. A ceux qui confondent la sensiblerie et la sensibilité, sans doute ces strophes sembleront froides. Mais il est juste que bien des fidèles du sensible Malherbe ne savent reconnaître en lui qu’un merveilleux versificateur.
Ajoutons enfin que mêlé à toutes les écoles vivantes de notre époque, Jean Cocteau a toujours voulu rester libre. C’est ce qui vaut la place hors ligne qu’il occupe dans la poésie moderne.

Raymond Radiguet

Photo : Raymond Radiguet par Man Ray.