J’ai une grande nouvelle triste à t’annoncer : je suis mort. Je peux te parler ce matin, parce que tu somnoles, que tu es malade, que tu as la fièvre. Chez nous, la vitesse est beaucoup plus importante que chez vous. Je ne parle pas de la vitesse qui se déplace d’un point à un autre, mais de la vitesse qui ne bouge pas, de la vitesse elle- même. Une hélice est encore visible, elle miroite ; si on y met la main, elle coupe. Nous, on ne nous voit pas, on peut nous traverser sans se faire de mal. Notre vitesse est si forte qu’elle nous situe à un point de silence et de monotonie. Je te rencontre parce que je n’ai pas toute ma vitesse et que la fièvre donne une vitesse immobile rare chez les vivants. Je te parle, je te touche. C’est bon le relief ! Je garde encore un souvenir de mon relief. J’étais une eau qui avait la forme d’une bouteille et qui jugeait tout d’après cette forme. Chacun de nous est une bouteille qui imprime une forme différente à la même eau. Maintenant, retourné au lac, je collabore à sa transparence. Je suis Nous. Vous êtes Je. Les vivants et les morts sont près et loin les uns des autres comme le côté pile et le côté face d’un sou, les quatre images d’un jeu de cubes. Un même ruban de clichés déroule nos actes. Mais vous, un mur coupe le rayon et vous délivre. On vous voit bouger dans vos paysages. Notre rayon à nous traverse les murs. Rien ne l’arrête. Nous vivons épanouis dans le vide. Jean Cocteau.
Après la magie de l’écriture, la tirade du Sphinx dans La Machine Infernale de Jean Cocteau qu’elle nous a donné hier, Eva nous offre la magie de la voix. Nous n’allons plus lire le texte, nous allons écouter Eva en regardant le sublime Sphinx de Franz von Stuck qu’elle a choisi pour nous.
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Le Sphinx de Franz von Stuck.
J’ai recopié ce texte dans mon carnet (quel étrange et merveilleux plaisir parfois que de recopier un beau texte) C’est une tirade du Sphinx dans la Machine infernale de Jean Cocteau, je l’avais souvent répété dans mon cours d’art dramatique.
(Eva Green, novembre 2019)
Le Sphinx :
Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide qu’un cocher, plus lourd qu’une vache, plus sage qu’un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus voilé, plus ancré, plus bercé qu’un navire, plus incorruptible qu’un juge, plus vorace que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne qu’un œuf, plus ingénieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu’une main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le serpent qui humecte sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule de telle sorte qu’il me suffira de vouloir ces nœuds pour les faire et d’y penser pour les tendre ou pour les détendre ; si mince qu’il t’échappe, si souple que tu t’imagineras être victime de quelque poison, si dur qu’une maladresse de ma part t’amputerait, si tendu qu’un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du sang des statues, un fil qui te ligote avec la volubilité des arabesques folles du miel qui tombe sur du miel.
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« J’ai grande crainte des personnes qui ne savent pas rire. J’ai toujours aimé ces fou-rires qui montrent l’âme grande ouverte. Je ferme les yeux. J’entends des fou-rires. Un arbre secoué par le rire lâche ses fruits et ses oiseaux. » Jean Cocteau.
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