« Coco Chérie, je viens de voir Dalí et nous avons parlé de toi tendrement. Je te souhaite toutes les chances, ce qui est ridicule car tu es la chance. Je t’embrasse et t’aime de tout mon cœur. » Jean Cocteau
J’ai une grande nouvelle triste à t’annoncer : je suis mort. Je peux te parler ce matin, parce que tu somnoles, que tu es malade, que tu as la fièvre. Chez nous, la vitesse est beaucoup plus importante que chez vous. Je ne parle pas de la vitesse qui se déplace d’un point à un autre, mais de la vitesse qui ne bouge pas, de la vitesse elle- même. Une hélice est encore visible, elle miroite ; si on y met la main, elle coupe. Nous, on ne nous voit pas, on peut nous traverser sans se faire de mal. Notre vitesse est si forte qu’elle nous situe à un point de silence et de monotonie. Je te rencontre parce que je n’ai pas toute ma vitesse et que la fièvre donne une vitesse immobile rare chez les vivants. Je te parle, je te touche. C’est bon le relief ! Je garde encore un souvenir de mon relief. J’étais une eau qui avait la forme d’une bouteille et qui jugeait tout d’après cette forme. Chacun de nous est une bouteille qui imprime une forme différente à la même eau. Maintenant, retourné au lac, je collabore à sa transparence. Je suis Nous. Vous êtes Je. Les vivants et les morts sont près et loin les uns des autres comme le côté pile et le côté face d’un sou, les quatre images d’un jeu de cubes. Un même ruban de clichés déroule nos actes. Mais vous, un mur coupe le rayon et vous délivre. On vous voit bouger dans vos paysages. Notre rayon à nous traverse les murs. Rien ne l’arrête. Nous vivons épanouis dans le vide. Jean Cocteau.
« Un jour que j’allais voir Picasso, rue La Boétie, je crus, dans l’ascenseur, que je grandissais côte à côte avec je ne sais quoi de terrible et qui serait éternel. Une voix me criait: « Mon nom se trouve sur la plaque ! » Une secousse me réveilla et je lus sur la plaque de cuivre des manettes: ASCENSEUR HEURTEBISE. Je me rappelle que chez Picasso nous parlâmes de miracles ; Picasso dit que tout était miracle et que c’était un miracle de ne pas fondre dans son bain comme un morceau de sucre. Peu après, l’ange Heurtebise me hanta et je commençai le poème. À ma prochaine visite, je regardai la plaque. Elle portait le nom OTIS-PIFRE ; l’ascenseur avait changé de marque. »
Dans la pièce de 1926, cet ange ne présente plus le même visage. Après avoir été celui qui heurte et qui brise, il devient « bise », un bon ange gardien qui va et vient entre invisible et visible, où il prend l’apparence d’un vitrier. Il veille, non sans maladresse et une certaine part d’impuissance, sur Eurydice et sur Orphée.
Cocteau, lors de la première reprise d’Orphée par la compagnie Pitoëff du 4 au 17 juin 1927, joue lui-même le rôle d’Heurtebise.
Heurtebise, c’est la nuit du poète, tout ce qui lui échappe, son inconscience aussi bien que le surnaturel qui l’entoure.
Photo : Cocteau en Heurtebise vitrier dans la pièce Orphée de 1926.
Dans ce court film de 1959, Cocteau explique que sa méthode de dessin ressemble beaucoup à l’improvisation en jazz.
« Quand je dessine j’écris et peut-être que quand j’écris je dessine. »
Jean Cocteau
Contre le doute hélas je n’ai pas de refuge
En quelles mains me suis-je mis ?
Et comment me juger car lorsque je me juge
J’ai les yeux de mes ennemis.
Que j’aimerais m’aimer et me laurer de gloire.
Attendre le succès final.
Mais contre moi si loin que cherche ma mémoire
Se retourne mon tribunal.
L’avocat me suspecte et le jury m’accuse
Tous les témoins me donnent tort
Et je dois écouter sans me trouver d’excuse
Ma condamnation à mort.
Jean Cocteau.
A dix-neuf ans Jean Cocteau écrit son premier recueil de poèmes, La Lampe d’Aladin. Il en dédicace un exemplaire à sa mère avec qui il a des liens affectifs très forts :
« J’ai eu la chance d’avoir une mère admirable. Ferme et tendre. J’étais d’une famille où mon apparition risquait de faire scandale. De son œil noir que madame de Noailles appelait notre œil de rossignol, ma mère me suivait et me comprenait. Elle constatait qu’une légende bruyante et ridicule se superposait à mon amour du travail et de la maison. C’est à cause d’elle que la boue ne m’a pas atteint. Sans doute m’avait-elle donné un peu de ce lustre qu’elle possède comme les cygnes qui nagent dans l’eau sale et ne se tachent pas.»
Tableau : Portrait d’Eugénie Cocteau.
Aujourd’hui a lieu chez Sotheby’s la vente de La Collection Ribes II où le livre dédicacé à sa mère est mis en vente.
https://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2019/collection-ribes-ii-pf1933/lot.231.html
En 1909, la troupe des Ballets Russes débarque en France avec de nouvelles créations : Cléopâtre, Le Festin nu et Le Pavillon d’Armide. « Ils ont tout à coup enchanté Paris comme un feu d’artifice », racontera Jean Cocteau. Sous l’égide de leur redoutable et génial mentor Serge de Diaghilev, les danseurs offrent sur la scène du Châtelet une féerie, une originalité qui enthousiasment les spectateurs. Les journaux crient au miracle. Éclaboussé par les couleurs incandescentes d’un Orient revisité, Cocteau loue les décors de Benois et Bakst, les chorégraphies de Fokine, la virtuosité des ballerines Ida Rubinstein et Tamara Karsavina. En 1910, Schéhérazade sur la musique de Rimski-Korsakov enfièvre un peu plus le public.La présence de Nijinski dont les femmes auraient voulu faire leur esclave d’amour retient Cocteau dans les coulisses. Comprenant qu’il doit travailler avec les ensorceleurs, Cocteau tente de s’attirer les grâces de Diaghilev qui lui ordonne de l’étonner… « Dès cette minute, je décidai de mourir et de revivre » avouera le poète !
Jean Cocteau and the Ballet Russe partie 1 et 2 :
Après la magie de l’écriture, la tirade du Sphinx dans La Machine Infernale de Jean Cocteau qu’elle nous a donné hier, Eva nous offre la magie de la voix. Nous n’allons plus lire le texte, nous allons écouter Eva en regardant le sublime Sphinx de Franz von Stuck qu’elle a choisi pour nous.
Cliquez ci-dessous :
Audio by copyright Boutique Jean Cocteau.
Le Sphinx de Franz von Stuck.
J’ai recopié ce texte dans mon carnet (quel étrange et merveilleux plaisir parfois que de recopier un beau texte) C’est une tirade du Sphinx dans la Machine infernale de Jean Cocteau, je l’avais souvent répété dans mon cours d’art dramatique.
(Eva Green, novembre 2019)
Le Sphinx :
Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide qu’un cocher, plus lourd qu’une vache, plus sage qu’un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus voilé, plus ancré, plus bercé qu’un navire, plus incorruptible qu’un juge, plus vorace que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne qu’un œuf, plus ingénieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu’une main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le serpent qui humecte sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule de telle sorte qu’il me suffira de vouloir ces nœuds pour les faire et d’y penser pour les tendre ou pour les détendre ; si mince qu’il t’échappe, si souple que tu t’imagineras être victime de quelque poison, si dur qu’une maladresse de ma part t’amputerait, si tendu qu’un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du sang des statues, un fil qui te ligote avec la volubilité des arabesques folles du miel qui tombe sur du miel.
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Lien du carnet :https://boutiquejeancocteau.com/fr/papeterie/40-carnet-noir-orphee.html
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